Déclaration conjointe au conseiller fédéral Alain Berset et à l'Office fédéral de la santé publique OFSP

Application Covid-19 : pas un moyen miracle, même si on a échappé au pire

Screenshot: DP3T-App

L’application de traçage des contacts mise en œuvre par le Conseil fédéral a de quoi rassurer les scientifiques et la société civile pour ce qui est de la protection des données et de la sphère privée. Il n’empêche, des questions importantes demeurent en suspens. Dans une déclaration commune, Amnesty International, la Société Numérique et la Fondation pour la protection des consommateurs interpellent à ce sujet le conseiller fédéral Alain Berset et l’Office fédéral de la santé.

Début avril déjà, la Société Numérique, Amnesty International et la Fondation pour la protection des consommateurs avaient posé leurs exigences concernant une éventuelle application de traçage des contacts. La semaine dernière, le Conseil fédéral a publié son ordonnance sur l’essai pilote du système suisse de traçage de proximité, assortie de diverses information sur la Swiss PT-App (Questions et réponses application Swiss PT). Les trois organisations sont satisfaites de constater qu’il a été tenu compte des préoccupations des scientifiques et de la société civile.

Le Conseil fédéral mise sur un concept décentralisé (DP-3T) développé par les deux Écoles polytechniques fédérales de Zurich (EPFZ) et Lausanne (EPFL). Apple et Google devraient intégrer ces prochaines semaines les éléments constitutifs de l’application dans leur système d’exploitation. Le Conseil fédéral souhaite adopter le 20 mai la base légale réglementant son exploitation à l’issue de la phase de test, afin que le Parlement puisse en débattre et se prononcer lors de la session de juin.

Délire de surveillance ou instrument bénéfique ?

Une application de traçage de proximité constitue une technologie risquée. Tout dépend de l’utilisation qui en est faite : elle peut nous mener tout droit à un système de surveillance cauchemardesque digne d’un État totalitaire, ou rendre de précieux services pour lutter contre la pandémie, dans le respect de la sphère privée et de la protection des données.

L’ordonnance du Conseil fédéral concernant l’essai pilote instaure d’importantes garanties. L’installation et l’utilisation de l’application reposeront sur une base volontaire, tout comme l’information des personnes exposées au virus. La Confédération met en œuvre les principes de minimisation et d’anonymisation des données, d’enregistrement décentralisé, d’accessibilité du code source de toutes les composantes et de protection des données.

Il subsiste cependant des points critiques : pour être pleinement efficace et proportionnée au but visé, l’application doit être associée à d’autres mesures opportunes. Son utilité dans la lutte contre la pandémie n’est pour l’instant nullement avérée et doit faire l’objet d’une évaluation en continu. Les personnes qui ne peuvent ou ne veulent pas installer l’application ne doivent pas être pénalisées. Enfin, les modalités d’intégration dans les systèmes d’exploitation d’Apple et Google seront cruciales.

Nous ne disposons jusqu’ici que de l’ordonnance régissant la phase de test. Les garanties mentionnées plus haut doivent figurer dans le message du Conseil fédéral sur la loi ad hoc, et être confirmées par le Parlement.

Seule, l’application ne résoudra rien

L’application de traçage des contacts ne saurait constituer à elle seule un moyen miracle pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Il s’agit au mieux d’un auxiliaire, à combiner avec d’autres mesures telles que les tests, l’isolation et l’accès aux soins. Si l’application se révélait moins utile que prévu pour identifier les contaminations, il conviendrait de mettre fin à l’expérimentation. Une évaluation doit donc être prévue dans la loi.

Les réserves que suscitent l’application ne concernent pas que les aspects techniques, mais également son insertion dans la stratégie de prévention globale. À en croire les informations fournies par la Confédération, les personnes potentiellement infectées informées par l’application ne seront pas invitées à se faire tester, ni n’en auront la possibilité. Le motif invoqué est que tant qu’elles demeurent asymptomatiques, un examen médical ou un test de laboratoire n’est pas nécessaire. Limiter les tests aux personnes présentant des symptômes soulève la question de l’utilité de l’application. Les épidémiologistes avaient en effet réclamé l’élargissement des critères de test à toutes les personnes alertées par l’application.

En restreignant l’accès aux tests, on crée un nouveau problème. Selon la Confédération, chaque personne alertée par l’application est invitée à se soumettre à une « quarantaine volontaire », mais sans que lui soit reconnu le droit au maintien du versement du salaire. Celui-ci n’est garanti que si l’isolation est justifiée par certificat médical. Comme les personnes alertées ne peuvent pas se faire tester (aussi longtemps qu’elles demeurent sans symptômes), elles doivent s’auto-confiner de leur propre chef et renoncer à leur salaire. Cette restriction nuit à l’efficacité de l’application et aux mesures qui lui sont associées. Les épidémiologistes demandent que la détection des personnes potentiellement infectées déclenche une réponse claire, telles que le droit à se faire tester et/ou l’établissement d’un certificat de quarantaine.

Cette question s’avère déterminante pour la mise en service de l’application : si son utilité est limitée, il y a lieu de s’interroger sur la proportionnalité et l’admissibilité d’une telle mesure au vu des risques. Il est impératif de maintenir aussi bas que possible le seuil à partir duquel les personnes se mettront d’elles-mêmes en quarantaine, qu’elles aient ou non été testées, afin de ne pas compromettre l’efficacité de l’application qui repose sur le volontariat.

Ne pas pénaliser la non-utilisation

Les personnes qui renoncent à installer l’application ou ne possèdent pas de téléphone compatible ne doivent pas être désavantagées. La Constitution interdit à l’État de conditionner ses prestations (par exemple transports publics, soutien financiers) à l’utilisation d’une application. Pour des raisons de protection des données, les employeurs ne peuvent exiger de leurs employé·e·s qu’ils/elles utilisent l’application. Les autorités compétentes doivent y veiller avec rigueur, et les dispositions légales sanctionner les entreprises privées qui discrimineraient les client·e·s n’utilisant pas l’application.