Les CFF souhaitent étendre largement la surveillance des voyageuses et voyageurs dans plus de 50 gares suisses à partir de septembre 2023, notamment par le biais d’analyses biométriques. Pour les organisations de la société civile AlgorithmWatch CH et la Société numérique et d’autres organisations, cette mesure risque de restreindre massivement les droits fondamentaux, ce qui est disproportionné par rapport à ses objectifs commerciaux. Elles ont donc lancé une lettre ouverte aux CFF. Elles demandent aux CFF de 1) faire preuve de clarté à propos de ce projet, 2) de ne pas installer d’infrastructure de surveillance biométrique dans les gares et 3) de s’abstenir de toute collecte et de tout traitement de données dans l’espace public qui ne soit pas conforme à nos droits fondamentaux. Les intérêts commerciaux ne justifient tout simplement pas de telles atteintes aux droits fondamentaux.
Madame Monika Ribar, Monsieur Vincent Ducrot,
Les CFF veulent, à partir de septembre 2023, étendre largement la surveillance des voyageuses et voyageurs dans plus de 50 gares suisses. Comme le rapportait le magazine K-Tipp le 15 février 2023, ils souhaitent recenser et analyser, grâce à un nouveau “système de mesure de la fréquentation des clients”, le temps passé par les usagères et usagers dans la gare, leurs déplacements, les boutiques où sont effectués leurs achats, ainsi que les montants de ces derniers. Pour ce faire, des caméras, parfois cachées, doivent enregistrer, probablement aussi à l’aide de notre visage, des données sensibles telles que la tranche d’âge, le sexe et la taille des voyageuses et voyageurs, ainsi que les bagages et les objets transportés comme les poussettes, les fauteuils roulants et les vélos. Nos déplacements et notre comportement dans la gare seront ainsi recensés, selon les CFF de manière anonyme; toutefois, cela permettra de suivre des personnes individuelles lors de leur passage dans la gare.
Les CFF justifient leur décision par des intérêts opérationnels et commerciaux. Selon les documents d’appel d’offres, l’objectif est notamment d’augmenter la “monétisation” par personne – par exemple par “une publicité ciblée”, “l’amélioration de la performance commerciale des magasins” ou “l’optimisation de la mixité des locataires”. Il s’agit donc, entre autres, de concevoir notre expérience d’achat de manière à nous inciter à dépenser plus et à contribuer à l’augmentation du chiffre d’affaires des magasins de la gare – et donc à procurer aux CFF des revenus locatifs plus élevés.
Nous, AlgorithmWatch CH, la Société numérique ainsi que les autres organisations de la société civile et personnes signataires, pensons que cette surveillance n’est pas compatible avec nos droits fondamentaux. Nous demandons aux CFF :
1. en premier lieu, de faire preuve de clarté et d’informer le public de manière transparente sur ce qui est prévu – ce qui implique notamment la publication d’une éventuelle analyse d’impact sur la protection des données ;
2. de renoncer à l’installation d’infrastructures visant à l’identification, au suivi ou la catégorisation biométrique dans les gares, car celles-ci créeraient les conditions d’une vaste surveillance ;
3. de renoncer à toute collecte et tout traitement de données dans les espaces accessibles au public qui ne sont pas conformes à nos droits fondamentaux. En font partie, outre l’identification et le suivi biométriques, la catégorisation biométrique, qui classe les personnes sur la base de leurs données biométriques dans des catégories (protégées notamment par la législation sur la discrimination). Cela vaut en particulier lorsque celle-ci sert en premier lieu des intérêts commerciaux. En effet, les intérêts commerciaux ne justifient tout simplement pas de telles atteintes aux droits fondamentaux.
Pourquoi est-ce important ?
Pour la catégorisation biométrique des personnes selon des critères tels que le sexe ou l’âge, il faut partir du principe que les CFF devraient recourir à l’analyse des visages. Non seulement ces systèmes manquent souvent de fondement scientifique solide, mais ils présentent également un risque accru de discrimination. Leur utilisation dans des lieux accessibles au public ne jouit d’aucune justification légitime, et s’avère disproportionnée au regard des objectifs apparents des CFF consistant à prendre des mesures de construction et à augmenter la “monétisation” par personne afin de renforcer le chiffre d’affaires des commerces en gare et par ce biais, de générer en fin de compte davantage de revenus locatifs.
La surveillance biométrique des voyageuses et voyageurs à des fins commerciales dans les gares constitue une violation importante de nos droits fondamentaux. Les transports publics ont un rôle central et irremplaçable dans la vie quotidienne d’une grande partie de la population suisse. Les gares sont des espaces accessibles au public que nous ne pouvons pas éviter, et dans lesquels nous devrions pouvoir nous déplacer sans être constamment surveillé·e·s. Les gares ne sont pas seulement un lieu où l’on fait ses achats, mais aussi un lieu de passage, que ce soit pour des déplacements privés ou professionnels, et un lieu de rencontre. L’existence même d’une infrastructure de reconnaissance ou de suivi biométrique dans ce lieu peut déjà nous dissuader de nous y déplacer librement et sans être reconnu·e·s, ou encore de nous y rassembler – et donc d’exercer des droits fondamentaux essentiels. C’est d’autant plus le cas (mais pas exclusivement) lorsqu’il est potentiellement possible de relier nos déplacements et notre comportement d’achat à notre identité.
En tant que clientes et clients des CFF, en tant qu’usagères et usagers des gares et tout simplement en tant que population suisse, nous appelons les CFF à renoncer à l’installation de cette vaste infrastructure au potentiel de surveillance de masse dans les gares. Nos droits fondamentaux ne doivent pas être mis en balance avec des intérêts commerciaux, – et les CFF aussi doivent les respecter. Nous nous opposons à une surveillance de masse dans les gares suisses !
Meilleures salutations,
Comment les signatures sont remises
Nous collectons des signatures jusqu’au 16 mars 2023 et enverrons ensuite la lettre ouverte à Madame Monika Ribar (Présidente du Conseil d’administration des CFF) et à Monsieur Vincent Ducrot (CEO des CFF) en indiquant les noms et prénoms des personnes et organisations signataires.